Exposition « Chronique du monde d’avant » – Le Gentil Garçon
Exposition « Chronique du monde d’avant »
Le Gentil Garçon
15 juin – 03 août 2013
Vernissage le 15 juin à 18h30
A cette occasion performance de Benedetto Buffalino
+Animation musicale dj mix dans le jardin par DJ Dove Cake
©Le Gentil Garçon
Chronique du monde d’avant
Le kamishibai (« théâtre de papier ») est un genre narratif japonais basé sur des images peintes que le conteur fait défiler au fil de son histoire en les retirant successivement de la façade d’un petit théâtre de bois. Les « bonshommes Kamishibai » gagnaient leur vie en transportant de ville en ville leur petit théâtre à bicyclette. Ils se rémunéraient par la vente de friandises à leur auditoire et devaient donc ménager le suspens à la fin de chaque épisode pour que le public revienne les voir le lendemain. C’est un théâtre de pauvre qui a fleuri dans les années 30, qui connu un immense succès et qui fut surtout un improbable point de rencontre, syncrétisme entre le cinéma, le théâtre, le manga et anticipant la télévision. En effet les conteurs de kamashibai étaient bien souvent des ancien Benshi, ces conteurs extrêmement populaires des salles de cinéma muet qui commentaient l’action durant la projection des films, dramatisaient les scènes de suspense, lisaient les intertitres ou interprétaient des chansons populaires dont les textes étaient écrits sur les panneaux dans les films. Quand le cinéma parlant est arrivé, les Benshi se retrouvèrent sans emploi et beaucoup se reconvertirent dans le kamishibai. Les conteurs de Kamishibai achetaient les panneaux illustrés à des ateliers spécialisés qui employaient de nombreux dessinateurs. Ils devaient travailler à des cadences infernales pour produire en série les planches de kamishibai toutes peintes à la main. Ces ateliers furent l’école où se formèrent la plupart des futurs grands auteurs de Manga, fortement inspirées par les cadrage de plus en plus inventifs qu’ils voyaient dans le cinéma américain et dont ils adaptaient les codes pour la kamishibai. Quand la télé arriva (qu’on appela d’emblé « genki kamishibai », le « kamishibai électrique », par sa ressemblance évidente) le Kamishibai périclita et beaucoup de dessinateurs se reconvertirent dans le manga puis dans le cinéma d’animation.
Chronique du monde d’avant est une œuvre composite regroupant un film, qui en est le principal élément et l’argument, ainsi que différents objets qui bien que liés au film et à sa réalisation (en tant qu’accessoire, costume ou décors) ont aussi été conçu comme des œuvres autonomes. Chronique du monde d’avant est pour ainsi dire une œuvre à géométrie variable : en fonction des possibilité d’accrochage, les différents éléments qui la composent ne sont pas forcement toujours montrés. D’autre part c’est aussi une œuvre en devenir, s’étoffant à chaque monstration, puisque d’autres objets tirés du film seront réalisés par la suite. Mêlant prises de vues réelles et images animées, le film a été tourné en grande partie au Japon à Kyoto durant ma résidence à la villa Kujoyama entre août et décembre 2012.
Le film réinterprète la pratique traditionnelle du Kamishibai. Il est basé sur un conte que j’ai imaginé durant ma résidence et que j’ai fait interpréter par un conteur âgé de 81 ans rencontré à Osaka, M. Tadashi Sugiura. Il est un des dernier conteurs de Kamishibai à avoir détenu une licence officielle l’autorisant à vendre des friandises dans la rue et donc lui permettant de financer ses tournées de quartier[1]. Dans le film, le théâtre de kamishibai et son système d’images glissées servent de transition entre des séquences en prise de vue réelle et des séquences animées.
Un spectacle de Kamishibai se déroule en trois partie, ponctuées par la fabrication et la vente de friandises (le conteur, avec une grande dextérité réalise en direct et selon le désir des enfants, de petites sculptures comestibles en pate de riz : chiens, koalas, lapins…) La première partie est une histoire comique, la deuxième partie un jeu sous forme de devinettes (en jouant sur différentes façon de cacher partiellement une image) et la troisième partie un conte moral. Je me suis plus spécifiquement intéressé à cette dernière partie. Le conte que j’ai écrit prend la forme d’un dialogue entre Sugiura san et un groupe d’enfant spectateur qui l’interrogent en cœur. Dans mon film, contrairement au Kamishibai classique, les rapports entre le texte, l’image et le son tentent d’aller au-delà de la simple illustration des propos : le film est aussi l’occasion d’une réflexion sur le statu de l’image, sa manipulation au sens littéral et figuré.
L’histoire évoque un “monde d’avant”, avant que l’homme n’ait eu les moyens de le mettre en péril. Les protagonistes parlent depuis un futur dans lequel les enfants n’ont jamais connu notre présent. Avec la concision d’une fable, le texte agit comme une épiphanie. Il est inspiré par ce que j’ai vu et vécu au Japon, du sentiment mêlé que j’en ai eu, ne pouvant m’empêcher de penser, alors que je vivais dans le cadre paisible de la capitale spirituelle du Japon, au mal invisible provenant de Fukushima, à ce désastre qui n’en est qu’à son début. Il est aussi inspiré par mes rencontres avec différents professeurs de robotique à Osaka[2] que j’ai interrogés sur la perception très spécifique que l’on a des robots, ce trouble qui parfois nous amène à confondre présence et existence, et notamment sur la notion d’Uncanny Valley[3].
Note technique :
Le film est tourné en japonais avec des sous-titres français. J’ai travaillé avec une classe de primaire de l’école Française du Kansai. Les séquences avec les enfants et le conteur ont été tournées au Kyoto Art Center assisté d’Alexandre Maubert et de Sebastian Mayer pour les prises de son, avec Masako Kotera comme interprète.
Remerciements :
Institut Français du Kansaï, Tadashi Sugiura, Isabelle Olivier, Arata Okano, Masako Kotera, Oliver Franz, Mayumi Yamamoto, Florian Tinant et les enfants de l’école française du Kansaï, Akihiro Kubo, Kayoko Oikawa, Alexandre Maubert, Sebastian Mayer, Tsutomu Tsuji.
[1] Aujourd’hui ces licences ne sont plus délivrées et n’ont plus de valeur, aussi il est contraint de s’installer dans des parcs privés (appartenant à des entreprises, des hôpitaux ou des écoles) pour ne pas risquer de ce faire chasser avec son théâtre sous le bras (ou plutôt sur sa moto puisque cela fait quelque temps déjà qu’il a troqué la traditionnelle bicyclette pour une mobylette). C’est évidemment un passionné de sa pratique et il s’est constitué une incroyable collection d’illustrations originales de kamishibai (quand le kamishibai a périclité les dizaines de milliers d’images produites à la main dans les studios de l’époque n’ont pas été conservées et la grande majorité fut détruite).
[2] Yukie Nagai, chercheuse en développement cognitif des robots à l’université d’Osaka, Kohei Ogawa et Takashi Minato de l’Intelligent Robotics Laboratory sous la direction d’Hiroshi Ishiguro à l’université d’Osaka et à l’ATR (Advanced Telecomunicationd Research Institute International)
[3] L’effet de la « vallée étrange » est une réaction psychologique devant certains robots humanoïdes. Son existence a été suggérée par le roboticien japonais Masahiro Mori en 1971. Il décrit le fait que plus un robot humanoïde est similaire à un être humain, plus ses imperfections nous paraissent monstrueuses. Ainsi, certains observateurs seront plus à l’aise en face d’un robot clairement artificiel que devant un robot doté d’une peau, de vêtements et d’un visage pouvant passer pour humain. La théorie prévoit cependant qu’au delà d’un certain niveau de perfection dans l’imitation, les robots humanoïdes sont beaucoup mieux acceptés. C’est pour cela qu’est utilisé le terme de vallée : il s’agit d’une zone à franchir dans laquelle chaque progrès fait vers l’imitation humaine amènera plus de rejet avant de finalement amener une acceptation plus grande.
http://www.legentilgarcon.com/
http://www.dda-ra.org/fr/oeuvres/LE_GENTIL_GARCON