Entretien avec Arthur Poutignat.
Arthur Poutignat a développé lors de cette résidence deux travaux parallèles. Un premier sur le texte, en prenant des fragments d’annotations dans des journaux locaux pour en tirer une histoire qui pourrait être ré-imaginée, avec l’idée de s’inspirer du contexte local. Un second autour du dessin, en réalisant des lavis à l’encre de Chine. Il s’agit d’un travail de portrait sur le clair-obscur, la forme y est révélée par l’obscurité de l’image.
Connaissais-tu L’attrape-couleurs auparavant et comment as-tu eu connaissance de l’appel à candidature pour la résidence ?
Non je ne connaissais pas L’attrape-couleurs. Je suis tombé sur l’annonce grâce à la newsletter de la FRAAP, et de là j’ai répondu à l’appel à projet.
Est-ce que tu peux me parler du projet que tu avais soumis dans ta candidature ?
Ce que j’ai proposé au départ c’était vraiment un travail sur le texte en utilisant des journaux locaux, avec l’idée de s’inspirer du contexte local. En prenant des sortes de fragments d’annotations, en tirer une histoire qui pourrait être ré-imaginée. L’idée était de sortir de ce contexte local pour créer une sorte de mythe. Après tout dépend comment le texte va évoluer mais j’avais proposé de l’associer à des images, pourquoi pas des photographies ou des vidéos qui viendraient compléter le texte, comme une espèce d’univers fait de petits fragments, assez linéaire mais finalement sans véritable cohérence.
Ce travail sur le texte est quelque chose que tu avais déjà fait une fois auparavant. Avais-tu procédé de la même manière, d’après une collecte de journaux locaux ?
Oui je l’ai déjà fait mais plutôt à une échelle nationale, avec des journaux d’information comme Les Echos, Le Figaro, Le Monde. Il s’agissait vraiment d’un exercice d’écriture en soi, alors qu’ici l’idée était plus d’en faire quelque chose qui puisse être étoffé par des images, toujours selon cette idée de ré-imaginer le local, d’y apporter un brin d’incohérence.
Dès le départ tu avais imaginé accompagner ce texte par des visuels ?
En fait l’idée en écrivant c’est aussi de mélanger les champs lexicaux, et cela de toute façon ça crée des images. Après j’ai commencé ici à produire des images mais très vite j’ai rencontré une difficulté en travaillant comme ceci. J’ai d’abord besoin de terminer le texte sinon ce que j’y ajoute va devenir trop illustratif et prend le risque de ne pas aller plus loin que les mots. L’idée est que cela vienne ajouter quelque chose au texte plutôt que seulement le mettre en images.
Comme une deuxième histoire qui aurait son existence propre tout en étant immanquablement liée à la première
Oui ou comme des images qui viennent éclairer des parties un peu obscures mais pour peut-être au final les rendre encore plus abstraites. Je souhaite travailler sur les effets d’incohérences et de coïncidences, que l’un puisse autant venir nourrir l’autre que s’y mettre en opposition.
Pendant ta résidence à L’attrape-couleurs, tu as également réalisé des portraits au lavis, tirés de captures d’écran à partir de vieux films en noir et blanc. Ces portraits vont-ils faire partie des visuels que tu vas associer au texte ?
Le principe de cette résidence d’été, comme il me l’a été présenté, est de mettre à disposition de l’artiste un espace et un temps de travail dédié à l’expérimentation, une manière d’explorer certains aspects de ma pratique sans forcément le concevoir comme une production finie et prête à être exposée. Du coup je ne pense pas que ces images au lavis aillent avec ce projet de texte. Ce sont des choses différentes, il s’agissait de me replonger dans mon travail, c’est également un projet que j’avais déjà réalisé auparavant. Il s’agissait en fait d’épuiser presque ce truc pour trouver autre chose. Ce sont vraiment des travaux de recherches personnelles qui n’ont pas été pensé en lien avec la création du texte.
Peux-tu expliquer en quoi consistent ces dessins et quelle technique tu as employé ?
J’ai utilisé du lavis à l’encre de Chine. C’est un travail sur le clair-obscur, la forme est révélée par l’obscurité de l’image. Les portraits ne sont pas fait de traits ni de formes bien délimités mais sont composés par la lumière qui vient taper à différents endroits et du coup révèle des zones d’ombre. Je m’intéresse beaucoup à ça. C’est une question de perception, l’idée que l’on reconnaît les visages sans avoir besoin du tracé habituel, que l’on devine par les volumes. Par exemple je pense aux ordinateurs et à la reconnaissance visuelle, je ne crois pas que cela puisse marcher avec ce genre de technique. Cela passe alors par une reconnaissance autre, ça devient de la perception. Ce qui m’intéresse dans ces images capturées de films c’est qu’elles sont théâtralisées, qu’il s’agit d’acteurs, du coup j’aime jouer avec leurs expressions. Je les assemble entre elles de façon à ce que le spectateur puisse trouver des sortes de liens de causalité d’une image à l’autre. Je les vois donc forcément comme un ensemble et pas présentées une par une détachées des autres.
Comment vois-tu la suite de ce projet sur le texte, tu comptes le poursuivre lors de ta prochaine résidence en Bretagne ?
Oui je vais le continuer. Ici j’ai commencé à écrire des choses mais il faut que je les développe, que j’arrive à trouver ma logique d’élaboration. J’ai utilisé mon temps de résidence pour collecter toutes ces petites expressions, ces informations tirées des journaux. Par là je découvre aussi localement ce qui intéresse les journaux et leurs lecteurs. Je prends les expressions spécifiques, je mélange les champs lexicaux et j’essaye de tisser une histoire. J’ai pu collecter tout ce matériau et maintenant il faut que je fasse la mise en forme.
Peux-tu me parler rapidement de cette prochaine résidence en Bretagne ?
Il s’agit d’un projet entre l’Allemagne et la Bretagne, organisé par un collectif allemand de Leipzig, du quartier de Lindenau. C’est une association d’associations d’artistes en fait qui s’appelle Lindenow. Il y a une française qui vit à Leipzig et qui fait partie du collectif, elle a organisé cette résidence à St-Brieuc, à la station Vastemonde qui est un espace d’art indépendant. L’intitulé est Ex situ, ils cherchent à définir la pratique des artistes hors de leurs lieux de production habituels, hors de leurs pays aussi en ce qui concerne les allemands invités. Ils invitent également des français et j’en fais partie.
Tu sais combien vous serez et pour combien de temps ?
Je crois qu’il devrait y avoir une trentaine de personnes en tout. La résidence dure trois semaines mais je ne participe qu’à deux semaines.
Pour revenir à ce que tu as produit à L’attrape-couleurs, quelle finalité vois-tu pour ce travail sur le texte, as-tu déjà imaginé une manière de le présenter ?
Il y a différentes formes possibles, il faut d’abord que je le finisse. L’idée à la base quand j’ai fait ce travail la première fois, c’était que ce texte revienne de là où il vient et qu’il soit publié dans un journal. Mais après c’est juste une idée, cela pourrait aussi être publié sous la forme d’une page de journal toute seule, sans être intégrée à un journal entier.
La boucle serait bouclée en quelque sorte
Oui et puis cela participe à l’idée que tout ces trucs d’informations et ces mots qu’on utilise pour qualifier tout ce qui se passe c’est aussi une matière qu’on peut utiliser pour faire de l’art. En déplaçant tous ces mots, en changeants leurs usages ça met en cause aussi la façon dont on utilise les mots dans les journaux.
Ce temps d’un mois pour une résidence tu as trouvé ça court ?
Oui c’est assez court mais après ça dépend comment on envisage la chose. Un mois en été, avec la façon dont les choses étaient posées dès le départ, ça donne l’occasion à l’artiste de se plonger dans son travail plus que de produire quelque chose de bien définit. C’est faisable de produire quelque chose très vite, si l’idée est là dès le départ avec le matériel nécessaire. Mais finalement ce n’est pas plus mal de ne pas savoir comment tout cela va se terminer. Du coup c’est intéressant de ne pas avoir trop de pression et de se laisser du temps pour créer un projet ensemble. Ça m’a aussi permis de découvrir Lyon que je ne connaissais pas du tout, je me suis beaucoup baladé, notamment dans le but de faire des photos ce qui n’a pas toujours été possible à cause du temps, mais ça a été très agréable.
Propos recueillis par Aurélien Pelletier